La Paix par le Marché
La Paix par le marché fait partie des préceptes de la théorie libérale, considérée comme une méthode politique à part entière par de nombreux experts et dirigeants aujourd'hui. Elle inspire des processus de Paix, et fournit toujours des critères d'évaluation de certaines pratiques politiques et commerciales. Triomphante au point de paraître naturelle, cette perspective reste néanmoins empreinte de présupposés idéologiques qu'il s'agit de rappeler.
Évoquer l'hypothèse du marché comme éventuel facteur de Paix pose d'emblée la question du rapport entre économie et politique. *Pour les réalistes,*la politique prime sur l'économie. Économie et commerce ne seraient alors que des instruments au service des politiques étrangères des États, et mobilisables par ces derniers aussi bien pour prolonger la compétion politique que pour promouvoir un processus de Paix. *Mais les marxistes* inversent la relation pour affirmer la primauté de l'économie sur la politique en précisant que : <<le jeu de l'État ne fait que refléter celui du Capital, et la poursuite des intérêts de celui-ci contribue plutôt à exacerber les tensions internationales. *Pour de nombreux théoriciens libéraux* en fin, il faut penser les logiques politique et économique de façon séparée : C'est de façon autonome que le libre jeu des forces du marché contribue à la Paix et à la coopération. Il le fait d'ailleurs autant mieux que les interventions de l'État considérées comme néfastes sont réduites. Dans tous les cas, la progression spectaculaire du commerce international dans les dernières décennies, ses manifestations comme augmentation du volume des échanges, de leur valeur, dérégulation, abaissement des barrières tarifaires ou non tarifaires etc, ne peuvent s'analyser que dans un contexte éminemment politique. Une question en particulier fait débat dans les relations internationales : ces évolutions récentes, cette ouverture des marchés, sont-elles véritablement de nature à promouvoir la Paix, comme le pensent les théoriciens du libéralisme commercial ? Le<<Marché>>, vu par les libéraux, est un mode d'échange dont le développement est propice à la Paix. Il met pourtant en œuvre des mécanismes de domination producteurs de conflit.
*Maintenant, voyons le marché comme nécessité politique et comme méthode d'établissement de la Paix*.
À ce stade, plusieurs auteurs (comme Richard Rosecrane) estiment que le marché est tout simplement une condition de survie pour des États qui, dans un monde marqué par l'interdépendance, ne peuvent plus vivre en autarcie, notamment les plus petits d'entre eux. Chacun a besoin et donc dépend des autres, de leurs productions, de leurs investissements, de leurs achats également. Le temps n'est plus à l'invasion du territoire d'autrui mais bien à l'échange de productions et de services. On retrouve là une hypothèse majeure du libéralisme commercial : *la guerre ne paie pas*. Le volume des échanges commerciaux, de plus en plus élevé, reflète un dialogue permanent, régi par des lois qui lui sont propres, rationnelles, et où chacun à intérêt à coopérer avec les autres. Ce que l'on appelle de façon abstraite le marché prend ici le visage d'un ensemble de transactions commerciales transnationales, entretenues par un grand nombre d'acteurs microéconomiques privés, et aux conséquences politiquement bénéfiques.
Et pour établir la Paix, l'interdépendance économique et commerciale, fondée sur l'ouverture des frontières et la réduction de tout obstacle au libre échange, est perçue non seulement comme un judicieux choix préventif, mais également comme une véritable méthode de reconstruire la Paix après une période de conflit. *Cette Paix par le marché* peut alors être proposée à d'anciens ennemis comme une perspective de prospérité partagée. S'adressant d'abord à un nombre limité d'États concernés par un processus de réconciliation, elle peut ensuite constituer la base d'une plus large intégration régionale. L'exemple le plus souvent cité est naturellement celui de la France et de l'Allemagne, ennemis quasi-héréditaire après trois conflits en soixante-dix ans (1870,1ère et 2ème guerre mondiale), mais devenus chacun le principal partenaire commercial de l'autre, et formant désormais ensemble *un tandem diplomatique* essentiel dans le cadre de l'intégration européenne.
*Finalement le marché comme une idéologie dominante, dans un contexte de compétition et le marché comme compétition incontrôlable*.
Le cas franco-allemand ne doit pas faire oublier que l'hypothèse de la Paix par le marché n'est pas toujours vérifiée : les puissances européennes avaient dans les liens commerciaux étroits en 1913, avant de se lancer dans la première guerre mondiale ; idem pour le Japon et les États-Unis avant la seconde. Surtout, hypothèse libérale est souvent soupçonnée de servir les intérêts de certains pays : les grandes démocraties libérales, au premier rang desquelles les États-Unis. Ce sont ces derniers, en effet, qui s'impliquent le plus dans la promotion du libre-échange, relayés en cela par des autorités internationales telles que la banque mondiale ou l'organisation mondiale du commerce (OMC), en partie contrôlées par eux. Première puissance exportatrice du monde, ils profitent grandement d'une prospérité liée au libre-échange. L'équation << *l'ouverture des économies = prospérité = Paix>>*, correspond également aux intérêts d'acteurs privés : les firmes multinationales, dont les plus puissantes sont là encore occidentales. L'hypothèse de la <<Paix par le marché>> devient alors un discours au service de certaines politiques et sous-entendu par une idéologie aujourd'hui dominante.
Et l'approche du marché comme compétition incontrôlable prône l'application stricte et mécanique de certains préceptes comme la dérégulation, la libéralisation des prix, l'ouverture des marchés, etc. Tout ce qui nuit au libre-échange doit être combattu au nom de la rationalité économique. Ce faisant, cette démarche sous-estime le poids du social et du politique. Or, les obstacles que ces deux dimensions peuvent présenter à une construction purement économique de la Paix sont nombreux. Ainsi, la promotion de Paix par le marché au Moyen-Orient ( l'idée d'un middle-East free trade agreement ou MEFTA dans les années 1993-1994) s'est-elle heurtée à l'hostilité de certains acteurs ( notamment religieux) et à l'impatience des populations. Plus encore, ce que l'on appelle le marché est en réalité une compétition, d'abord entre les acteurs privés ( les grandes entreprises) lancés dans une concurrence féroce, puis entre des blocs régionaux, par exemple ; entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne, sur les questions des produits agricoles ou de la production culturelle. Les États se trouvent là engagés dans un processus de tension, avec des règles du jeu qui leur échappent puisqu'elles essentiellement régies par des groupes privés. On est loin, alors, de l'hypothèse libérale initiale de la Paix par le marché...
En conclusion, la Paix par le marché, l'hypothèse théorique cohérente, passe par l'application de principes certes très rationnels d'un point de vue économique, mais qui négligent sans doute un certain nombre de facteurs politiques et sociaux. En outre, le fait qu'il s'agisse d'une approche développée d'abord par les grandes démocraties libérales et notamment par les États-Unis, ne permet pas de la considérer comme neutre ni universelle, mais bien issue d'une logique occidentale et d'un discours sous-entendu par des intérêts précis.
Donc, vue que cette stratégie de Paix laisse de côté les aspects soco-politiques, *La Paix démocratique* ne pourra pas créer le climat de Paix entre les États que nous espérons tous ?
On verra ça dans le prochain texte...
Magnekell REGULUS lepresidentmagnekell@gmail.com.
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